Barbara et Depardieu

« Lili Passion » l’album inédit retrouvé
Mixage de l’album inédit par Laurent Guéneau

En 1985, Barbara et Depardieu enregistrent les chansons de “Lily Passion”, leur spectacle commun. Mais le disque ne sortira jamais. Après trente ans de mystère, les bandes ont été retrouvées et l’album devrait enfin voir le jour à la rentrée.

Barbara a-t-elle jamais été aussi présente ? Vingt ans ans après sa mort (en novembre 1997), les hommages se multiplient : Gérard Depardieu entame ce jeudi soir une série de récitals aux Bouffes du Nord, à Paris. Le Printemps de Bourges annonce une soirée spéciale, 100 % masculine, avec Dominique A, Vincent Delerm, Albin de la Simone, Tim Dup ou le leader de Radio Elvis (20 avril). Le mois suivant, le long métrage de Mathieu Almaric, faux biopic avec Jeanne Balibar, pourrait être projeté à Cannes. En juin, un premier album tribute devrait sortir avec, entre autres, Jeanne Moreau, Dani, Zazie, Juliette Armanet – sous la direction musicale d’Edith Fambuena. En juillet, les Francofolies de La Rochelle pourraient elles aussi présenter une création sur la chanteuse disparue. Et à la rentrée, la Philharmonie de Paris lui consacrera sa grande exposition, qui s’annonce déjà exceptionnelle pour ce qu’on sait des pièces dénichées pour l’occasion, ponctuée par un week-end musical et un nouveau disque hommage, sous l’égide du pianiste Alexandre Tharaud.

Mais côté discographique, l’objet le plus attendu sortira tout droit des réserves d’Universal : l’album studio de Lily Passion, le spectacle que Barbara avait monté avec Depardieu, dont les orchestrations étaient signées William Sheller, et qui n’était jamais sorti à l’époque. A ce jour, la seule trace qui nous reste de Lily Passion, c’est un double live, aux versions beaucoup plus dépouillées. Or après plusieurs années de recherche et de travail, les bandes studio ont été retrouvées, et restaurées. Sauf nouveau rebondissement – possible –, le disque devrait donc enfin exister à la rentrée prochaine, et ce sera évidemment un événement. En exclusivité, nous avons pu écouter cet enregistrement… exceptionnel.

Le contenu

Onze chansons (trente-cinq minutes environ), écrites et composées pour Lily Passion ; c’est-à-dire un peu moins que sur l’album live sorti à l’époque, qui reprenait une partie des dialogues du spectacle. Et d’emblée, on est frappés. Frappés par la voix de Barbara, d’une finesse absolue, plus claire que sur Seule, son précédent disque studio, enregistré quatre ans plus tôt. Une voix de cristal qui n’a peur d’aucun aigu (elle grimpe jusqu’aux limites de la fracture, mais ne rompt pas), ni d’aucun grave. Depuis le tout début des années 70, on ne l’avait plus entendue chanter avec une telle virtuosité. Et peut-être jamais n’a-t-elle fait preuve d’une telle sensualité.
A l’inverse, là encore, du double album public qu’on connaissait jusqu’à présent, Gérard Depardieu se fait très discret : il interprète entièrement (et très bien) un seul titre, David Song, et apparaît de temps en temps en filigrane, comme un écho à Barbara (Tango Indigo). Sans les dialogues, sa présence est forcément minorée par rapport à ce qu’était Lily Passion sur scène.

“C’est un sentiment d’urgence, d’énergie et de rage joyeuses, qui traverse l’ensemble.”

Côté musique, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, les arrangements de William Sheller sont sobres : le grand orchestre n’est que rarement déployé, les violons sont d’une parfaite délicatesse, et c’est le piano qui d’un bout à l’autre, constitue la pièce maîtresse du disque – Sheller avait déjà réalisé un album de Barbara, La Louve, en 1973, avec davantage d’emphase.

Mais au-delà de tout, c’est un sentiment d’urgence, d’énergie et de rage joyeuses, qui traverse l’ensemble. Sur plusieurs titres (Il tue, Je viens), le tempo semble accéléré – on n’a pas eu le moyen technique de le vérifier. Le morceau phare, Lily Passion, gagne une ampleur nouvelle : il s’envole, ou se déchaîne comme une mer tempêtueuse, à mi-chemin entre la chanson, le cabaret et l’opéra. Au passage, les exégètes remarqueront quelques vers inédits : « Je n’ai combattu qu’en chanson, je n’entrerai pas dans l’histoire. Et j’entre dans la fosse aux lions pour m’offrir en immolation » (les derniers mots deviendront « c’est ma vie, c’est ma déraison »). Aux antipodes, Bizarre se pose en jazz, Barbara y jouant du souffle et du velours de sa voix ; on ne sait plus trop si ce sont des cordes ou un saxo qui résonne. Je viens se transforme en une déambulation suspendue, qui n’est pas sans rappeler une chanson plus ancienne (6 novembre). Quant à Emmène-moi, où l’accordéon fougueux se déroule tel un tourbillon, il se clôt sur un « Je t’aime » qui sera gommé par la suite.
Ceux qui connaissent le livret de Lily Passion (l’histoire d’une chanteuse et d’un assassin) retrouveront à travers les chansons l’essentiel du propos ; les autres, sans doute, le devineront. Car Barbara a beau chanter la plupart du temps seule, c’est à son partenaire qu’elle s’adresse, et cela saute aux oreilles. Et quand le disque se referme avec la force de l’orchestre, dans un esprit très « comédie musicale » à l’américaine, on reste un peu sonnés par ce concentré de dramaturgie musicale, textuelle et vocale. Lily Passion, version studio, est d’une étonnante puissance.

Un enregistrement douloureux

A l’automne 1985, Barbara et Depardieu entrent en studio pour enregistrer ce disque. Mais dès les premières séances, un différend oppose Barbara à Roland Romanelli, son accompagnateur depuis près de vingt ans. Il n’aime pas la direction artistique qu’est en train de prendre le projet ; il le dit à Depardieu qui le répète à la chanteuse… Le lendemain, après une explication courte mais cinglante, Barbara et Romanelli mettent fin à leur collaboration. Ils ne se reverront plus. Parmi les fidèles de la chanteuse, demeure alors à ses côtés, en studio, le pianiste Gérard Daguerre – qui deviendra, pour les douze années restantes, son principal musicien.

Puis que se passe-t-il ? William Sheller dit n’avoir rien compris. Du jour au lendemain, plus personne ne lui fait signe. L’enregistrement se poursuit-il ? Il est probable en tout cas que les enjeux artistiques, mais aussi l’investissement affectif des uns et des autres dans ce projet hors du commun, et forcément risqué, aient pesé sur son déroulement. Gérard Daguerre, lui, se souvient que Barbara n’aimait pas le résultat. « Ça ne lui plaisait pas. Plus les jours passaient, plus elle enlevait des couches d’orchestration avant finalement de tout rejeter. » Et depuis trente ans, Sheller ne cessait de poser la question : « Mais que sont devenues les bandes ? »

 

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